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Confessions d'un hétérosexuel légèrement dépassé (2/2) : une illustration de la culture du viol.



TW : Cet article contient des thèmes et des citations qui peuvent heurter la sensibilité de certain.es lecteurices.



« Si les femmes pouvaient lire dans nos pensées, elles seraient terrorisées. »



Dans son cinquième et dernier chapitre, Beigbeder aborde la question du sexe, « sa pire addiction ». Il y mélange ainsi réflexions sur l’hétérosexualité, la pornographie, le mariage… mais surtout l’hétérosexualité. Ou plus particulièrement, l’homme hétérosexuel.


De cette réflexion jaillit un portrait de la culture du viol, assumé par son auteur.




Une vision biologisante de l’homme hétérosexuel.


Beigbeder amorce sa pensée ainsi : « Je suis d’accord avec toutes les féministes les plus radicales. L’hétérosexualité est une horreur ». Il n’ajoute pas plus de précision sur qui sont ces féministes dont il parle et bien qu’il n’y ait pas besoin d’être radical pour penser l’hétéronormativité. Pour certains, être féministe c'est déjà être radical.


Beigbeder se place ici du point de vue de l’homme hétérosexuel : l’hétérosexualité est une horreur pour ce dernier. Pourquoi ? L’auteur place l’homme dans une position de victime : il le présente comme le jouet de ses désirs dont il est esclave. « Le désir nous taraude constamment. Ne pensez jamais qu’un homme est autre chose qu’un sexe en quête de plaisir, une main en quête de sein, une peau avide de caresser, une bouche qui veut mordre un cou. » Il admet par la même occasion les techniques de manipulation ayant une seule fin : le sexe, la possession du corps des femmes : « L’homme est une menace d’amour. Je suis prêt à dire n’importe quoi pour parvenir à t’embrasser. » Beigbeder évoque également l’injonction pour l’homme hétérosexuel à ne pas exprimer ses sentiments mais il la naturalise en en faisant une composante biologique de l’hétérosexuel : « Le seul moment où un hétérosexuel peut s’exprimer sincèrement devant une femme, c’est dans les minutes qui suivent son éjaculation. Le reste est du baratin pour voir vos seins. »



« Tous des salauds ? Non, mais nous sommes des bêtes, c’est vrai, et nous en souffrons autant que les femmes. Nous souffrons d’être programmés pour vous vouloir. Et maintenant nous souffrons d’être déprogrammés. Nous avons mal quand nous désirons et mal quand nous nous en empêchons. »


Beigbeder décrit l’homme hétérosexuel comme une bête, traditionnellement opposée à un être doté de raison. « Je ne suis pas libre, parce que je suis hétérosexuel. Je suis esclave de mon désir démodé. » Pour lui, c’est l’instinct qui prime, instinct à suivre ses désirs, voire même instinct de reproduction. Cela est très problématique si l’on admet un tel déterminisme biologique, contre lequel rien ne peut être fait. Il est d’ailleurs surprenant de trouver un tel discours au sein duquel l’homme est dénué de libre-arbitre car cela est à l’opposé de la conception de notre société – « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – et du fondement du capitalisme. De plus, désirer ne signifie pas agir en fonction de ses désirs : lui qui s’enorgueillit de sa culture, Beigbeder ne sait-il pas que, dès la philosophie antique, il s’agit d’apprendre à ne plus être esclave de ses désirs ? L’auteur décrit une souffrance liée à cette condition. Est-ce celle de ne pas être libre ? Ou est-ce une question d’ego, venant du sentiment que cela ne devrait pas se passer ainsi face à l’impossibilité de faire comme bon leur semble ?


On observe dans cet extrait une alternance troublante entre le discours du not all men et celui de « tous les hommes ». Les hommes ne sont pas tous des salauds mais ils sont tous des bêtes, ce ne sont « pas des connards » mais « tous des chacals ». Du discours qui rejette la généralisation majoritairement présent chez les hommes, on passe étrangement à une revendication de la totalité.


On assiste donc à un discours essentialisant : l’homme hétérosexuel est ainsi fait, point. Beigbeder pousse cette essentialisation jusqu’à l’appeler une vérité : « Dès que je rencontre une femme, je l’imagine en train de faire l’amour. C’est la vérité de l’homme ». « Il faudrait construire quatre milliards de lits d’hôpitaux psychiatriques pour enfermer tous les obsédés du monde. Ou dissoudre du bromure anaphrodisiaque dans l’alimentation de tous les Terriens de sexe masculin.» : pour Beigbeder, homme = obsédé.


« Pourtant nous ne sommes pas des monstres. C’est un miracle quotidien que davantage de femmes ne soient pas victimes d’agression sexuelle. L’immense majorité des hommes se contiennent tout le temps. »


Beigbeder évoque la déshumanisation de l’homme hétérosexuel qualifié de monstre car potentiellement agresseur. Il se lamente de cette situation qu’il trouve injuste, jugeant que la plupart des hommes ont le mérite de fournir des efforts quotidiens pour ne pas agresser. Il présente ainsi l’homme hétéro comme victime de sa situation (alors que ce sont les femmes qui se font agresser…). Après tout, ils sont faits comme ça, ce n’est pas de leur faute !


Les hommes hétéros ne seraient ainsi pas responsables du regard sexualisant qu’ils portent sur les femmes: « Cela nous ferait des vacances, d’être enfin chimiquement débarrassés du démon qui réside en chacun de nous ». L’idée d’un démon à exorciser, d’une possession participe à cette déresponsabilisation. Malgré leurs meilleurs efforts et les stratégies mises en place « les hétérosexuels autocensurent leur désir », l’hétérosexuel est confronté à de constantes invitations au désir : « Tout, absolument tout, excite notre désir physique dans la société actuelle : la mode, le luxe, les films, les séries, les magazines, les publicités, les crop tops, le no bra, les microjupes, les minishorts, les piercings aux tétons sous les débardeurs moulants… ».


« L’homme est une machine à baiser. Un criminel potentiel. Une cocotte-minute. Un serial lover. Une time bomb. Un sex addict. Et pourtant il tient bon. Il idolâtre tellement les femmes qu’il respecte leur corps. C’est fabuleux. Je suis fier de cet exploit quotidien qui consiste à croiser toute la journée des femmes qui me plaisent et à ne jamais le leur dire. »


Pour Beigbeder, cette répression est le signe du respect qu’il porte aux femmes, pourtant, il dit lui-même que la seule chose qui empêche les hommes d’agresser est l’opprobre : « Quand on ne vous touche pas, c’est uniquement parce que la loi l’interdit. »



Je suis d’accord sur une chose : les hommes hétérosexuels ne sont pas des monstres. Non, je suis plutôt d’avis de les tenir pour ce qu’ils sont : des êtres humains, de chair et d’os, conscients, responsables, et pourtant capables du pire.

Beigbeder est si concentré sur les hommes hétérosexuels qu’il en vient à oublier la réciprocité de l’hétérosexualité : qu’en est-il du désir des femmes hétéros ? « Seules les nymphomanes ont une vague notion de l’addiction de la masculinité » dit-il. S’il reconnaît une asymétrie désavantageuse dans l’hétérosexualité, elle se place pour lui du côté des hommes.





Culture du viol : de l’objectification de la femme au non-respect du consentement.


C’est l’essentialisation du désir masculin et hétérosexuel qui rend pourtant possible l’objectification de la femme qui découle sur la culture du viol.



L’objectification consiste dans le fait de traiter une personne comme un objet, une chose. Cela peut mener entre autres à son instrumentalisation et à sa violabilité. Dans le cas de la femme, cette objectification est majoritairement sexuelle : elle intervient lorsque le corps d’une femme ou les parties de son corps sont séparées de sa personne et réduites au statut de simple instrument ou considérées comme en mesure de la représenter.


Dans ce texte, Beigbeder objectifie plus d’une fois la femme en la réduisant à une image sexualisée. Pour reprendre ses mots : « Chaque femme que je croise est scannée systématiquement aux rayons X, je veux dire transformée en film X de manière instantanée. Dès que je rencontre une femme, je l’imagine en train de faire l’amour. C’est la vérité de l’homme. » Il le dit lui-même : « Les néo-féministes ont raison de dénoncer le regard masculin comme réduisant la femme à un corps, “objectivant” une personne humaine sophistiquée au rang de simples jambes, peau, seins, bouche. C’est la réalité que je ressens. ». Non seulement l’auteur reconnaît cette objectification mais pour lui, elle est omniprésente : « Chaque étape d’une rencontre hétéro est une sorte d’entretien d’embauche où l’acceptation, ou le rejet, se fonde sur des critères dégueulasses, et dans laquelle l’éducation, le milieu social, l’humour importent autant que les gènes des parents ». Il poursuit : « Est-ce mal ? Qu’y a-t-il de mauvais dans l’idée d’un désir construit sur de mauvaises bases ? Je suis tellement conditionné par mon hétérosexualité que je ne vois même pas où est le problème. »


Voilà où réside le problème : en les objectifiant, vous réduisez les femmes à leur corps. Elles perdent ainsi toute valeur d’être humain à vos yeux. Une fois déshumanisée, la femme n’est plus qu’un objet, dénué de volonté, d’émotions, d’autonomie, et que l’on peut posséder. L’objectification de la femme suppose le non-respect de la femme. C’est cette objectification qui est au fondement de la culture du viol.



« La culture du viol est un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble d’attitudes et de comportements partagés au sein d’une société donnée qui minimisent, normalisent voire encouragent le viol. » Cette culture se base donc sur le non-respect du consentement.


Si l’on considère l’autre comme une chose, cela mène directement à ce non-respect du consentement, puisque l’on présuppose qu’elle n’a pas d’opinion propre ou du moins qu’elle n’a pas son mot à dire. J’irai jusqu’à dire que cela mène à une incompréhension totale de la notion même de consentement.


« Le jeu du oui/non consiste à regarder toutes les femmes que l’on croise dans la rue en se demandant si, oui ou non, on pourrait coucher avec elles. Dans la tête, on se dit : “elle oui”, “elle non”, toute la journée. Sans cesse. Pas la moindre trêve au jeu du oui/non. »


« C’est la culture du viol mais virtuel. Tant que le désir reste dans le méta, tout est permis. [...] Cette tempête sous un crâne est choquante mais parfaitement légale. L’enfer du désir est pavé de mesquines intentions. Le male gaze est une addiction incurable. Les femmes sont toutes swipées dans le Tinder mental de l’hétérosexuel. Sachez que vous passez toutes un casting permanent. »


On voit dans ce passage qu’il n’est jamais question de prendre en compte le désir de l’autre, mais seulement le sien. Ainsi, le « oui » de l’homme hétéro s’autosuffit. Beigbeder a beau dire que cela reste simplement virtuel, c’est comme cela que se joue la culture du viol tout court. Elle serait déjà présente, partout, n’attendant que d’être mise en acte.

« J’essaie d’inverser les rôles. Si chaque femme que je croisais m’imaginait à poil, tenu en laisse, obligé de lui lécher le clitoris jusqu’au squirt dans ma barbe, sincèrement, ma première réaction serait de bénir Simone de Beauvoir » : le jeu du oui/non montre pourtant que non, Beigbeder n’aimerait pas coucher avec chaque femme qu’il croise. L’expression « obligé de » le trahit malgré lui ; il le ferait par obligation, sans que son consentement ait été pris en considération. Il s’agirait d’un viol, qui est ici fantasmé.



Qu’est-ce qui retient donc ces hommes de passer à l’acte ? C’est la peur des représailles, pas le respect du consentement ni des femmes. « Quand on ne vous touche pas, c’est uniquement parce que la loi l’interdit. [...] Oui : la peur de la prison ferme retient les hommes d’agresser sexuellement toutes les femmes qui leur plaisent. »


Beigbeder affirme que le mariage, la religion et la pornographie sont d’autres préventifs au viol : « Un des meilleurs systèmes inventés pour encadrer la folie des hommes s’appelle le mariage. Le mariage permet de canaliser cette cavalcade sexuelle. Un homme maqué est structuré. Il cesse de désirer tous azimuts. » ; « L’autre mot pour désigner un homme déconstruit est : un mari. » ; « Toutes les religions sont également des tentatives pour contenir la brutalité du désir masculin. “Tu ne convoiteras pas la femme de ton ami”, “Tu ne commettras point l’adultère”, “Tu cesseras de pécho tout ce qui bouge”, “On ne te verra plus aux soirées”. Chaque religion a son vocabulaire pour censurer notre désir effrayant. Toutes les religions ont été créées pour empêcher que le désir masculin ne détruise irrémédiablement toute l’humanité. » ; « Autre remède au désir infernal : le porno gratuit accessible à tous sur internet ». Ainsi pour qu’un homme se retienne de se jeter sur une femme, il faudrait qu’il soit soumis à une instance supérieure (la justice, le mariage, la religion) ou qu’il puisse décharger autrement ses “pulsions” d’une manière qui soit socialement acceptable (le porno).


« J’ai une chance, c’est que mon désir est incompatible avec le viol. En effet, depuis toujours et sans doute par instinct de survie, une jolie fille qui me dit non devient laide. La non-réciprocité de mon désir est si vexante qu’elle abolit mon envie. Je préfère bouder qu’insister. Un refus me rend impuissant. »


S’il est sensé qu’un refus entraîne la descente du désir, il est intéressant de voir que chez Beigbeder, elle se traduit malgré tout par une vexation. C’est une nouvelle fois une question d’ego qui se joue ici : si l’on se vexe, c’est que l’on considère qu’il y a une forme d’injustice. De la même manière, c’est l’ego qui joue beaucoup dans la séduction, quitte à s’imaginer des choses : « Le plus amusant exercice consiste, avec les très jolies qui savent à quel point je les admire, à les observer jouer avec mon admiration comme un chat avec une souris : elles me tuent lentement, maintiennent mon désir en vie pour mieux me garder à leur botte, me rejettent sans trop de cruauté pour que je continue à mendier. »


« Si je réalisais mon désir, je serais tout le temps tout nu dans la rue en train de me frotter sur des inconnues comme un caniche. »



Beigbeder présente donc une image de l’homme hétérosexuel comme débordant de désir, un désir qu’il dit effrayant car sans cesse prêt à s’extérioriser. En découle selon lui des conséquences inévitables telles que l’objectivation de la femme qui se trouve au fondement de la culture du viol. Ainsi s’il dit : « Je ne me sens rien qu’un homme, un pauvre mec qui veut humblement aimer et être aimé par l’autre sexe, […] aimer sans être dénoncé » ; il semble important de rappeler qu’aimer, c’est laisser le choix.




L’hétérosexualité comme figure de proue du patriarcat.


J’évoquais plus haut la réciprocité de l’hétérosexualité qui concerne de moitié les femmes hétérosexuelles. On a vu que pour Beigbeder, ce sont les hommes qui sont victimes de l’hétérosexualité. Si des enjeux de domination s’y jouent bel et bien, c’est en tant qu’elle est une institution du système patriarcal.


Beigbeder pose la question « L’hétérosexualité est-elle un paternalisme déguisé en pornographie ? ». Plutôt qu’y répondre sérieusement, ce qui aurait pourtant été très intéressant, il poursuit : « [L’hétérosexualité est-elle] une condescendance consistant à rabaisser des êtres supérieurs en les imaginant tout le temps à quatre pattes et tirant la langue ? Sous prétexte de vous dresser un autel d’adoration, une créature velue se prosterne devant la beauté absolue des déesses qui sont responsables de la surpopulation planétaire. » Au-delà de l’image encore une fois sexualisée de la femme, rappelons à cette occasion que le féminisme milite pour l’égalité entre hommes et femmes et que rares sont ceux qui ont pensé que les femmes étaient des êtres supérieurs. Ce n’est certainement pas ce que reflète la réalité des faits, qui est celle du patriarcat.


Ce passage dessine un premier enjeu de l’institution hétérosexuelle : celui de la paternité. Ce serait aux femmes que reviendrait la responsabilité des enfants : « des déesses qui sont responsables de la surpopulation planétaire ». Pourtant, pourquoi seraient-elles les seules responsables ? On a tout aussi besoin d’un ovule que de la semence d’un homme pour créer un enfant. De plus, les femmes devraient être reconnaissantes que les hommes n’abandonnent pas leurs enfants et s’investissent davantage qu’autrefois dans leur éducation. Beigbeder voit presque cela comme une anomalie : « Il est tout de même hallucinant que tant d’hommes continuent de s’occuper de leurs enfants alors que la loi les autorise à s’en aller. Ils jouissent sans préservatif puis restent pendant vingt, trente ou quarante ans de soucis quotidiens, alors qu’aucune loi ne les force à s’occuper de leur progéniture autrement que financièrement. Ces pères aimants, présents, auraient pu continuer de spermer indéfiniment dans des vagins variés mais, non, ils choisissent de porter des poussettes pliantes. Chaque fois que j’en vois un se faire rouspéter dessus par une mégère acariâtre dans un aéroport, j’ai envie d’aller voir sa femme et de lui dire : “Chérie, serre ton bonheur, tu te rends compte qu’il pouvait partir et ne l’a pas fait ?” ».


« Le premier australopithèque qui a dit à une femme : “Je vais te protéger contre les attaques des ours mais en échange tu vas me sucer le membre” était-il un prédateur toxique ou juste l’inventeur du business win-win ? »


Ce passage et le renvoi à des institutions comme le mariage ou la religion mettent le doigt sur l’ancienneté du patriarcat et de l’hétérosexualité. Si pour Beigbeder, le patriarcat et l’hétérosexualité sont un business win-win, qu’y gagnent les femmes ?



Beigbeder évoque le “théorème des 3G d’Isabelle Adjani” :


« Elle a déclaré que la galanterie entraînait la grivoiserie, qui précédait la goujaterie. Conséquence directe, je décide : de ne plus payer l’addition au restaurant quand je dîne avec une femme ; de ne plus me laisser doubler dans la queue par une femme ; de ne plus ouvrir une porte à une femme ; de ne plus complimenter une femme sur son physique ; de ne plus offrir de fleurs ni de bijoux à une femme ; de ne plus embrasser les joues d’une femme pour lui dire bonjour mais de lui serrer la main ; de ne plus céder ma place dans le métro ou l’autobus à une femme ; de ne plus défendre ma femme en cas d’agression mais plutôt de lui demander de me défendre. Bienvenue dans un monde enfin équilibré.

Je suis prêt à parier qu’au bout d’une décennie sans galanterie, toutes les femmes, même Adjani, développeront une nostalgie de la goujaterie. »


Ah la galanterie, cheval de bataille des luttes féministes… Qu’est-ce qui est dérangeant dans la galanterie ? Tout d’abord, elle se fonde sur le patriarcat et les rôles assignés à chaque genre. Les hommes en auraient ainsi le monopole. Combattre le patriarcat, c’est donc abolir la galanterie. Pourquoi une femme ne pourrait-elle pas tenir la porte à un homme ? Surtout, plutôt que d’inverser les rôles comme semble le suggérer Beigbeder, pourquoi ne pas pratiquer la courtoisie avec tout le monde, sans tenir compte de l’identité de genre ? Un autre problème de la galanterie est qu’elle est la plupart du temps exercée avec une arrière-pensée, on exige une reconnaissance de celle-ci. Cela démontre les attentes que la société entretient envers les femmes : être reconnaissantes envers la galanterie mais aussi envers les avances que l’on peut nous faire.


L’éternel débat drague/harcèlement est ainsi également exploré :


« L’homme veut se rapprocher de la femme sans l’effaroucher, lui donner du plaisir sans la maltraiter, la séduire sans la harceler, se déclarer sans l’agresser… mais cela devient aussi compliqué que de trouver un billet de train sur SNCF Connect à moins de 200 euros en période de vacances scolaires. »


La différence entre drague et harcèlement repose sur le consentement. Seulement, c’est une notion qui, on l’a vu, échappe à beaucoup. La drague est ainsi le fait « d’exprimer poliment, dans un contexte adapté, son envie de connaître une personne ou de la revoir, et accepter son éventuel refus ». Dès lors, toute autre occurrence relève du harcèlement : siffler quelqu’un ; faire un commentaire sur le physique ou la tenue de quelqu’un qui n’a rien demandé, surtout si on ne la connaît pas ; insister après un refus ou une absence de réponse ou l’interpréter comme de la timidité etc. (Paye ta shnek, 2017). Une femme n’est pas nécessairement “effarouchée”, elle n’a peut-être simplement pas envie d’être draguée. Si elle l’est, elle a certainement des raisons de l’être.


« On peut éliminer le patriarcat sans stigmatiser les dragueurs, même s’ils sont pitoyables avec leurs chemises ouvertes, leurs 4×4 polluants et leurs lunettes de soleil en hiver. Je continuerai toute ma vie d’admirer les hommes qui font cet effort hallucinant d’aller parler à une inconnue. Le risque, l’inconfort, le courage et l’agilité intellectuelle que cela suppose, d’affronter la rebuffade, l’humiliation, la gêne et la honte. »


Encore une fois on voit que dans la “drague”, c’est l’ego de l’hétérosexuel qui est en jeu. On admire ainsi celui qui prendrait le risque de prendre un coup à son ego. Beigbeder ne semble pas se rendre compte que le refus est avant tout une expression des désirs de la femme, et pas un moyen d’humiliation. Il semble aussi oublier que les rebuffades sont très souvent (trop souvent) suivies d’insultes ou de menaces. Quelle joie en effet d’être une femme !


Tout comme la galanterie, la “drague” cache donc souvent des comportements en réalité associés au harcèlement, où se jouent une nouvelle fois des enjeux de domination. Il est donc nécessaire de remédier à cela pour abolir le patriarcat. « La véritable hétérosexualité enfin équilibrée naîtra le jour où une femme sifflera un homme dans la rue » : on a vu que ce comportement était associé au harcèlement de rue. Plutôt que de chercher à déshumaniser tout le monde et à siffler à tout va comme on sifflerait un chien, pourquoi ne pas introduire de la considération envers autrui et un respect du consentement ?



Beigbeder parle d’« hétérophobie » qu’il dénonce : « C’est pourtant aussi ignoble que quand les hétéros disent que les homosexuels sont des tapettes, des fiottes ou des pédales. La seule différence est que les hétérosexuels ont été au pouvoir durant des millénaires ». Précisément : l’hétérosexualité est un système dominant, il ne peut exister une véritable “hétérophobie” au même titre qu’il peut exister de l’homophobie ou autre. De plus, critiquer l’hétérosexualité ne peut être assimilé à un acte d’"hétérophobie".


« Vous trouvez que j’exagère ? Que j’en rajoute dans le registre de la complainte du mâle alpha ? Cette semaine, j’ai reçu un livre intitulé : Débrouille-toi avec ton violeur, où une Japonaise nommée Miaki Ono écrit que toute pénétration de l’homme dans la femme est barbare. Que toutes les fois où un homme introduit son sexe durci dans le vagin ou la bouche de la femme, c’est pour la dominer. Et que cet acte naturel, faire l’amour, éjaculer dans la femme, sera toujours un viol. Voilà le genre de textes qui sont publiés en 2022 sans choquer quiconque. Je suis le seul à trouver ce propos légèrement outrancier ? Je cite ce livre qui est, en ce moment, distribué en librairie : « Fourrer son pénis dans la bouche d’une femelle, même si celle-ci est consentante, est une affirmation de supériorité, de domination mâle, et de rappel à la femelle que, dans toutes les circonstances, elle ne sera jamais rien d’autre qu’une misérable réceptrice de sperme. [...] Dans Au-delà de la pénétration, Martin Page réclamait un moratoire de l’ONU contre la pénétration vaginale. Même si c’est une blague littéraire, elle révèle un état d’esprit, une atmosphère ambiante, un terrorisme anti-pénétration. Et je ne parle même pas des élucubrations délirantes de Paul B. Preciado sur “l’esthétique pétro-sexo-raciale dont le mode de production fonctionne par les énergies fossiles, et dont le mode de reproduction fonctionne par le binarisme sexuel”. Preciado demande très sérieusement qu’on cesse d’indiquer le sexe des bébés dans les maternités ou à l’école. »


Dans Au-delà de la pénétration, il s’agit de déconstruire la vision dominante d’une sexualité phallocentrée en décentrant la sexualité de la pénétration. Quant à Preciado, Beigbeder semble choisir délibérément un passage en dehors de son contexte et confondre genre et sexualité. De plus, chercher à dépasser le binarisme sexuel en supprimant le genre est-il une idée si farfelue ?


Beigbeder relève néanmoins un vrai problème : est-ce qu’un rapport non-dominant est possible ? « Donnez-moi, s’il vous plaît, le mode d’emploi d’une passion qui ne ferait souffrir personne, d’une nuit torride de baise où personne ne domine personne ». Comme dirait Morgane Ortin, une autrice que j’affectionne particulièrement (et également publiée chez Albin Michel), l’intime est politique. La sexualité est politique. Même dans les draps se jouent des enjeux de domination. C’est pour cette raison que certaines femmes choisissent de ne pas entrer en relation avec des hommes. « N’est-ce pas bizarre, ces lesbiennes qui expliquent que les femmes devraient toutes devenir homosexuelles, comme si on choisissait sa sexualité sur un menu de restaurant ? ». Il ne s’agit pas de dire que l’on peut choisir son orientation sexuelle, mais que l’on peut choisir avec qui entrer en relation. Ici le lesbianisme est un choix, une revendication politique.


« Je crois qu’un homme qui désire les femmes n’est pas nécessairement leur ennemi. Tous les préjugés sont idiots, toujours. Je refuse d’être un enfoiré a priori. Je veux être traité d’enfoiré seulement quand je le mérite a posteriori. »


Là où l’on a pu voir en quoi les femmes sont victimes de l’hétérosexualité et du patriarcat (sans même avoir traité de thèmes majeurs tels que le travail domestique), il reste à démontrer en quoi les hommes seraient des victimes. Victimes de leur désir ? Victimes de préjugés ? Beigbeder fait pourtant plus de généralisations que quiconque, disant que les hommes hétéros sont tous les mêmes. « Je me sens un pauvre enfant de putain quand on me traite de masculiniste toxique alors que mon unique engagement masculiniste a été de militer pour l’allongement du congé de paternité » : cet engagement, qui milite pour une égalité homme/femme, peut en réalité être qualifié de féministe. Non, ce qui fait de Beigbeder un masculiniste, c’est plutôt tout ce qu’il a pu dire dans ce livre, ou encore le fait qu’il mentionne de nouveau le mouvement MeToo dans ce chapitre en soulignant son lien avec Weinstein, qui a adapté l’un de ses livres au cinéma. Pourquoi ? Que cherche-t-il à faire ? On pourrait se dire qu’il vaudrait mieux se détacher le plus possible des agresseurs que l’on a pu connaître là ou, au contraire, il le revendique presque. Cette provocation, une parmi tant d’autres, montre tout simplement l’impunité de l’auteur et celle qui règne parmi les hommes.




Conclusion :


Dans ce texte, Beigbeder illustre ainsi la culture du viol, tout en la banalisant. Malgré son aveuglement, il montre de lui-même les dynamiques de domination à l’œuvre dans la société et la nécessité de changer les choses notamment à travers une éducation à la notion de consentement. Contrairement à sa vision des choses, basée sur l’idée fausse d’une biologie de l’homme hétéro, ce sont les femmes les principales victimes du patriarcat et l’hétérosexualité ; elles ont tout à gagner à leur abolition.


Voilà ce sur quoi je suis d’accord, mais pas pour les mêmes raisons et de manière plus nuancée : l’hétérosexualité est une horreur. L’homme est une menace. L’hétérosexualité est un paternalisme déguisé en pornographie. Si les femmes pouvaient lire dans les pensées des hommes hétérosexuels, elles seraient terrorisées (car elles le sont déjà).


Lui qui disait en début de livre qu’il le dédiait à sa fille, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce qu’elle penserait si elle se décidait un jour à le lire. Est-ce vraiment le message que Beigbeder souhaite lui faire passer ? Qu’elle n’est, aux yeux des hommes hétérosexuels, qu’une paire de jambes, un bout de viande évalué sur le marché de la femme, sur lequel ils s’empêchent seulement de se jeter par peur des représailles ?


Beigbeder a choisi son camp : « Dans la guerre entre féministes, je me situe plutôt dans le camp d’Élisabeth Badinter et de Sylviane Agacinski que dans celui de Sandrine Rousseau et d’Alice Coffin. » Mais s’il se targue d’être féministe, peut-on dire qu’il l’est vraiment ? Ces confessions, à prendre au sens catholique du terme, ne montrent pas de remords et jamais il ne demande véritablement pardon. Plutôt, il se cherche des excuses et se victimise en vue de se déresponsabiliser.






Pour retrouver le texte intégral des Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé : https://drive.google.com/drive/folders/1JsIft1cho-xsxsp3jW_TX0P7LzizK9hh?usp=drive_link


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